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Chronique

Quelle place occupent les femmes dans Imagine ?

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Il y a un an, Imagine concevait son propre baromètre égalité-diversité. Depuis, cinq numéros ont été analysés. A l’occasion du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, la rédaction raconte ce que ces statistiques ont changé en interne.

Il y a un peu plus d’un an, alors que les réunions virtuelles s’installaient peu à peu dans nos vies, la rédaction d’Imagine décidait de concevoir son propre baromètre égalité-diversité avec l’aide de Florence Le Cam, Lise Ménalque et Sabri Derinöz, membres du Laboratoire des pratiques et identités journalistiques (ReSIC-ULB). Nous partions notamment du constat suivant : depuis dix ans, l’Association des Journalistes Professionnels (AJP) réalise des baromètres dans la presse écrite, tout comme le Conseil supérieur audiovisuel (CSA) le fait pour la télévision et, pour la première fois il y a quelques jours, pour les radios. De baromètre en baromètre, les chiffres et les conclusions se répètent : les femmes, qui composent 51 % de la population belge, sont sous-représentées dans tous les médias.

Et chez Imagine, qu’en est-il ? Puisqu’aucun baromètre ne mesure l’égalité et la diversité dans les magazines, pourquoi ne pas concevoir le nôtre ? Plus encore, notre rédaction respecte-t-elle les valeurs que nous défendons dans notre Manifeste ? Pour le savoir, il faut mesurer, compter… Et publier les résultats, même lorsqu’ils ne sont pas mirobolants. Notons qu’au regard des réactions de nos lecteurs et lectrices, cet exercice de transparence est apprécié.

En revanche, cette démarche ne semble guère séduire les différents types de médias en Belgique : Imagine et Médor sont les deux seuls à éplucher, chacun à leur manière, leurs propres contenus. Ailleurs, d’après Martine Simonis, secrétaire générale de l’AJP, « l’intérêt est là mais pas les moyens. Or, les chiffres ne s’amélioreront pas sans engagements de la part rédactions. Le changement doit venir de l’intérieur, des médias eux-mêmes ».

Quelle est la place des femmes ?

Sur les cinq numéros analysés en un an, une caractéristique revient systématiquement : les femmes sont moins nombreuses mais ont davantage de place pour s’exprimer. Cela s’explique en partie par les grands entretiens : après l’anthropologue Philippe Descola, se sont succédé la politologue Olivia Umurerwa Rutazibwa, la philosophe du soin Claire Marin, l’actrice Ariane Ascaride et la philosophe des sciences Laurence Bouquiaux.

Au même titre que les hommes, les femmes sont majoritairement citées en tant qu’expertes, de manière directe et sont rarement désignées par leur seul prénom. Contrairement à ce que montrent les baromètres de l’AJP, nos chiffres ne témoignent ainsi pas d’inégalités de traitement dans la manière de nommer nos sources.

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Par ailleurs, conformément aux valeurs défendues par Imagine, nous veillons toujours à donner la parole aux premières concernées – en tant que témoins et en tant qu’expertes - par les thématiques que nous couvrons. A titre d’exemple, citons notre dossier sur les stéréotypes racistes véhiculés par la communication des ONG (Imagine 142), celui sur les squats collectifs comme lieux de luttes politiques (Imagine 140), celui sur les luttes organisées en non-mixité (Imagine 143).

Baromètre Imagine
Infogram

Nos baromètres ont-ils changé nos pratiques journalistiques ?

Une des particularités de notre baromètre est sa « fabrication maison » : il n’est pas externalisé. L’inconvénient de cette démarche : le recensement des intervenants et intervenantes selon différents critères (type de discours, mode de désignation, verbes utilisés, etc.) est un investissement énergivore et chronophage qui empiète sur notre temps de travail journalistique. Par exemple, pour mesurer le temps de parole des uns et des autres, il faut sélectionner, une à une, les citations pour connaître le nombre de mots. Son avantage : plus on compte soi-même, plus on pense à diversifier ses sources et élargir notre horizon en amont.

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Alors, concrètement, qu’ont-ils changé dans nos pratiques ? _Primo_, lorsqu’il s’agit de penser un sujet collectivement, la question de l’égalité hommes-femmes et de la diversité est toujours sur la table. « Attention, ici, il y a un déséquilibre ». Par exemple : pour le dossier « 2021, le futur leur échappe » (janvier-février 2021), la rédaction à veiller à ce que le groupe des « Espoirs d’Imagine » regroupe autant de jeunes hommes que de jeunes femmes, de milieux différents et avec des origines différentes. Secundo, de l’avis général, les baromètres ont apporté une forme de conscience de l’inclusion et de la diversité : en construisant un sujet, nous pensons aux résultats du baromètre, ce qui nous pousse (parfois pas suffisamment) à élargir nos horizons. Tertio… Quand on cherche, on trouve.

De quoi parlent-elles ?

Reste à savoir… De quoi parlent les femmes dans Imagine ? Tentons l’exercice avec le numéro 143, actuellement en librairie. Les thèmes où elles interviennent en majorité : la grève de la faim, les investissements des banques dans les énergies fossiles, l’accès à l’interruption volontaire de grossesse, les sciences océaniques, l’inclusion dans la société belge, l’ethnofiction, les luttes organisées en non-mixité. Les thèmes où elles interviennent le moins : la politique (sur les liens entre l’écologie et l’extrême-droite), l’électrification du parc automobile belge, le nomadisme des ruchers.

Nous l’avions signalé en créant cet outil : il n’est pas parfait est amené à évoluer. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait : le premier ne portait qu’un dossier principal de seize pages, les suivants sur un tiers du magazine. Aujourd’hui, nous analysons l’entièreté d’un numéro (à l’exception des chroniques), ce qui nous permet d’avoir une photographie bien plus complète. Pouvons-nous encore l’améliorer ? Sans doute.

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Chroniquant notre troisième baromètre, Fatima Zibouh, politologue, responsable du service anti-discrimination d’Actiris et co-présidente du groupe « Les Pisteurs d’Imagine » fournissait ainsi quelques pistes. « Pour pousser sa réflexion plus loin, la rédaction aurait tout intérêt à inclure, dans ce baromètre, d’autres indicateurs de diversité comme, par exemple, la question des thématiques abordées et les lieux de reportages. En effet, la diversité* n’est pas qu’une question d’origines », soulignait-elle, rappelant que la diversité des thématiques revêt une importance particulière « parce qu’ils traduisent des biais journalistiques ».

Et de nous inviter à prendre ces paramètres en compte dans nos baromètres, tout en précisant que « tout ne peut pas reposer sur les épaules des journalistes. Les hommes devraient aussi être capables de se mettre en arrière pour laisser la place aux femmes ».

Ces derniers jours, plusieurs médias ont commenté les résultats du dernier baromètre du CSA ou se sont attardés sur la nouvelle campagne de l’AJP, contre le sexisme dans les rédactions. Ce 8 mars sera, sans doute, rempli d’articles sur les femmes et leur place dans la société. Et après ? Les baromètres se succèderont-ils encore dix ans, étalant perpétuellement les mêmes constats ? Pour une meilleure représentation des femmes dans les médias, il faudra un sursaut collectif de la part de l’ensemble du secteur. Et si le travail introspectif de la presse indépendante, des magazines comme Imagine et Médor, inspirait d’autres médias ? Compter, à l’évidence, n’est pas suffisant. Mais pour changer les mentalités et les représentations, c’est un début.

Sarah Freres


*La diversité, en termes d’origines, se démarque dans nos chiffres comme notre point faible : en moyenne, environ 25 % de nos intervenants et intervenantes sont perçus comme issus de la diversité. Dès le départ, nous avons pris le pari de mesurer ce qui se « lit », ce qui est perceptible. Comme dans les différents baromètres en presse écrite, il s’agit de compter la part d’intervenants « perçus comme issus de la diversité ». En effet, en presse écrite, la diversité se « voit » moins qu’en télévision : en l’absence de photos, elle ne peut se deviner qu’au détour de la consonnance d’un prénom et d’un nom… Ou ne pas se deviner du tout.

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