L’urgente transformation de nos systèmes alimentaires
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Notre modèle alimentaire industriel low cost épuise les écosystèmes, les producteurs et productrices ainsi que la santé, humaine et non-humaine. Des coûts cachés énormes qui ne se répercutent pas sur le ticket du consommateur… mais bien sur la collectivité. Pour l’ONG de solidarité internationale Humundi (ex-SOS Faim), il est urgent de repenser ce système alimentaire « insoutenable à long terme ». Décryptage.
Dix-huit milliards neuf cent mille dollars. D’après une estimation des Nations unies, c’est le coût annuel caché de notre modèle de production alimentaire industriel. « Et encore, c’est une estimation basse, prévient Benoît De Wageneer, secrétaire-général d’Humundi, ONG de solidarité internationale qui lance cet automne une campagne pour repenser nos systèmes alimentaires. Cette analyse ne tient pas compte d’autres coûts pour la société, comme celui de la dégradation des sols, des zoonoses, la sous-alimentation d’une bonne partie de la population, etc. »
Face au dépassement de plusieurs limites planétaires, d’une hausse continue de la faim dans le monde depuis 2015, de l’inflation et l’augmentation des prix, notre modèle industriel et mondialisé de production alimentaire se repose sur la promesse du maintien des prix attractifs pour les consommateurs. Or, pour l’ONG, ce low cost camoufle une aberration : plus les prix des produits alimentaires sont abordables, plus ils coûtent cher à la société, la « facture collective » ne se reflétant pas dans les prix affichés. « Chaque euro dépensé par le consommateur entraîne un coût caché de trois euros pour la société », calcule Benoît De Wageneer. Impacts néfastes sur la santé, humaine et animale, sur l’environnement, sur les conditions de travail des producteurs et productrices cultivant notre nourriture, sur les droits humains et le bien-être animal…
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Pour concrétiser son propos, l’ONG illustre sa campagne par divers produits alimentaire. Par exemple, le poulet. « En Belgique, 95 % de la production de poulets provient de l’élevage intensif, une pratique aux conséquences environnementales et sanitaires catastrophiques », illustre l’ONG. Ses coûts cachés : une déforestation importante de l’Amazonie pour cultiver l’aliment de base des volailles (souvent du soja génétiquement modifié), laquelle contribue au dérèglement climatique (l’Amazonie perdant de plus en plus sa capacité d’absorption du CO2) et à la perte de la biodiversité (menaçant ainsi l’équilibre des écosystèmes). A cela, s’ajoutent encore « des problèmes de bien-être animal et de santé publique en augmentant les risques de zoonoses, telles que la grippe aviaire ». Quant à ceux du café, deuxième produit alimentaire le plus importé par la Belgique : consommation considérable d’eau, déforestation, pollution, appauvrissement des sols, conditions de travail précaires – voire travail forcé des enfants -. Et l’usage de pesticides nuisant gravement à la santé des travailleurs et travailleuses. Reste encore le lait, dont la production à bas coût cache la disparition des petites fermes laitières d’Europe et d’Afrique de l’Ouest. « Les éleveurs et éleveuses européens sont maintenus dans la précarité, car l’industrie achète leur lait à un prix qui ne couvre pas leurs coûts de production. Pour compenser des prix de vente trop bas, les éleveurs européens sont incités à produire davantage. Cette course à la productivité profite aux industriels, qui transforment les surplus de lait en poudre réengraissés avec de l’huile de palme bon marché et les exportent ensuite en Afrique de l’Ouest, à un prix 30% inférieur à celui du lait local. Ce système menace de faire disparaître les petites fermes laitières en Europe ainsi que les mini-laiteries en Afrique de l’Ouest, détruisant toute une économie locale », documente encore l’ONG.
Pour Humundi, il est désormais indiscutable que ce modèle industriel fonctionnant à crédit est « insoutenable à long terme ». « La tendance haussière ne va pas s’arrêter : notre système alimentation est perfusé au pétrole, aux engrais, aux pesticides… Et demain, à la digitalisation. En raison de ces dépendances, nous allons payer notre alimentation de plus en plus cher, quoiqu’il arrive, prévoit le secrétaire-général. Il y a une véritable urgence à repenser notre système alimentaire, son mode de fonctionnement, de financement, etc. L’agriculture reste une des interfaces essentielles de notre rapport à la nature et à l’environnement et un levier de changement formidable. Et on ne répondra pas à la polycrise sans changer notre alimentation. »
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Un appel que l’ONG lance tant aux consommateurs qu’aux décideurs politiques, les leviers d’action des uns et des autres n’étant pas sur un même pied d’égalité. « Il y a un vrai pouvoir du consommateur et du citoyen, notamment à l’approche du scrutin de 2024 [qui, pour rappel, est quadruple : communal, régional, fédéral et européen, NDLR]. On peut modifier son régime alimentaire pour réduire les coûts cachés, par exemple en achetant de manière plus locale, s’engager dans des mouvements qui poussent à la transformation systématique tout en soutenant le débat démocratique, contribuer au changement par le vote aux élections… Au niveau plus macro – le pouvoir du citoyen a ses limites –, des solutions existent. A commencer par la réorientation de l’aide publique à l’alimentation pour ne plus subsidier la logique du low cost et accéder à une alimentation saine produite de manière qualitative, en intégrant l’impact dans les pays divers. La transition alimentaire ne fonctionnera que si elle est globale », préconise Benoît De Wageneer. S.F.
Rendez-vous au festival Alimenterre
Pour la quinzième année consécutive, le rendez-vous annuel d’Humundi revient : le festival Alimenterre se déroulera du 10 au 15 octobre à Bruxelles et en Wallonie. Au programme : des films, débats, concerts, séances jeunes publics où sont mises à l’honneur les luttes indigènes pour la préservation de leur territoire, la sororité dans les campagnes, le droit à l’alimentation de qualité pour toutes et tous… Un rendez-vous où penser et construire « un modèle d’agriculture paysanne et durable, sans pesticides ni engrais de synthèse, basé sur l’agroécologie, les circuits courts, la préservation du foncier agricole et du vivant ».
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