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Éditorial

L'impossible devenu possible

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Matt Howard / Unsplash

« C’est fou comme parfois nous pouvons nous comporter comme des moutons », s’indignait récemment un proche. Sans faire injure à nos cousins les ovidés, nous ne pouvons pas lui donner tout à fait tort : collectivement, l’espèce humaine est relativement docile et impressionnable, à tout moment susceptible de se laisser conduire, berner, voire déposséder.

Imaginez : le 7 mars, le temps d’un Comité de concertation expédié, bingo !, nous voilà passés en code jaune « risque faible : propagation limitée du virus ». Covid safe ticket aux oubliettes, retour des contacts et de la bise, mise en sourdine du débat entre pro et anti-vax… Du jour au lendemain, le coronavirus devenait la plus basse des priorités politiques et médiatiques.

Guidés par la bonne parole gouvernementale, nous nous sommes engouffrés, avec joie, mais sans trop nous poser de questions, dans les rangs d’une vie à nouveau « normale » – alors que 10 % seulement de la population d’Afrique est vaccinée par manque de doses et que Shanghai est durement reconfinée, mais ça, c’est déjà une autre histoire. Entre temps, la Russie a envahi l’Ukraine et enclenché une guerre folle et meurtrière. Une actualité chasse l’autre. Et les « urgences » se sont déplacées : défense armée, accueil des réfugiés, mesures pour contrer l’inflation et la pénurie, etc.

Sale temps pour nos dirigeants contraints de devoir gérer un enchaînement de « crises » leur rappelant combien la conduite des affaires au 21e siècle est tout sauf assurée, réglée et prédictible. Que le « surgissement de l’incertitude », comme l’écrivait déjà Edgar Morin en 1984 (La Méthode), fait intégralement partie de leur cahier des charges.

Sombre époque ? Sans aucun doute. Mais, comme le rappelle toujours le sociologue, si chaque crise est « un moment indécis et décisif », c’est aussi une « possibilité d’action, de décision, de changement et de transformation ». Depuis l’annonce de la pandémie en novembre 2019, les Etats ont déployé des efforts considérables pour amortir le choc sanitaire et socio-économique.

En quatre semaines, la Belgique a accordé plus de 30 000 titres de séjour aux réfugiés ukrainiens.

Face à la flambée des prix, le gouvernement a réduit en un temps record les accises sur l’essence et le diesel.

Pour la deuxième fois de son histoire, l’Assemblée générale de l’ONU a privé un Etat de son siège au Conseil des droits de l’Homme des Nations unies et la communauté internationale a pris une batterie de sanctions sans précédent (gel des avoirs de Vladimir Poutine, d’oligarques et de la Banque centrale russe, embargo sur le charbon, fermeture de l’espace aérien…). Dans toute l’Union européenne, des milliards d’euros ont été débloqués pour fournir des armes à l’Ukraine et renforcer les budgets militaires.

Toutes ces mesures exceptionnelles prises en un temps record confirment cette vision de la « crisologie » chère à Edgar Morin : nous vivons à la fois un moment de grande régression, de trouble et de ruptures d’équilibre, mais aussi d’opportunités, et de possibilités d’action sur le réel. Soudain, ce qui semblait jusque-là « impossible » se réalise. Dans l’empressement et parfois le désordre. Sans toujours de logique et de cohérence, mais les « forces créatives et lucides » se mettent puissamment en mouvement.

Soudain, comme par magie, ceux qui nous gouvernent font sauter tous les verrous (l’austérité, l’endettement public, les antagonismes politiques…) avec une apparente facilité.

« Quand on veut, on peut »

Cette succession de périls (les attentats terroristes, le Covid, les inondations, la guerre…) s’apparente à un crash-test en épisodes qui permet de mesurer notre capacité collective à nous adapter, à faire front, mais la « gestion de crise », le court-termisme et les décisions politiques hâtives et bâclées ne forment pas un projet de société, un destin et un récit commun.

Certes, nos décideurs sont souvent pris de court et parfois impuissants, mais ils ne peuvent plus ignorer l’adage populaire « quand on veut on peut », les colères rentrées et prêtes à exploser, la fracture sociale grandissante, l’effrayant rapport du GIEC sur le climat publié dans une certaine indifférence politique et médiatique…

Si nous sommes capables d’accueillir 30 000 réfugiés en un mois, d’agir sur la flambée des prix, d’investir massivement dans la défense militaire et de renforcer notre Etat social actif, nous n’avons plus d’excuses, le changement de cap est non seulement possible, mais indispensable face aux crises multiples. L’action politique et ses corollaires requièrent à cet égard des priorités claires, le sens de l’intérêt général et une vision à long terme qui fait encore défaut pour passer de la logique d’urgence à celle de l’anticipation.

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