Reportage
La carte des luttes citoyennes, territoriales et environnementales
Aux quatre coins de la Belgique, des collectifs citoyens se mobilisent contre des projets qu’ils jugent inutiles et destructeurs pour l’environnement. Imagine Demain le monde a réalisé une carte interactive inédite regroupant une soixantaine de ces collectifs.
« On n’est pas des pilons », « La nature sans friture », « Watching Alibaba »…: des noms qui rivalisent d’originalité, pour des citoyens en lutte contre des projets qui menacent leur environnement, de la nouvelle route au nouveau lotissement, en passant par le poulailler industriel. Si ce type de démarches se multiplient, elles ne sont pas nouvelles : certains combats durent depuis plus de quarante ans. Des contestations de contournements autoroutiers, comme celui de Wavre, côtoyaient déjà dans les années 1970 les tentatives de mise sur pied de modes de vie alternatifs. « Les accaparements de terres et de ressources par de grands projets ont toujours existé », note Geoffrey Pleyers, sociologue (UCLouvain- FNRS) spécialisé dans les mouvements sociaux. « Mais aujourd’hui cette pression s’accroît. Nous sommes de plus en plus nombreux, les entreprises sont de plus en plus voraces, quand les ressources, elles, restent limitées. »
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En résultent davantage d’affrontements autour d’aménagements, qu’ils soient autoroutiers, industriels, commerciaux ou encore immobiliers. Sébastien Kennes, activiste et animateur à l’Asbl Rencontre des continents, y voit le renouveau d’un phénomène déjà présent « lorsque des populations indigènes défendaient leurs terres des puissances coloniales. Mais cette prédation de territoires se manifeste aujourd’hui bien au-delà du Sud, jusque dans nos pays occidentaux. »
“Nous sommes de plus en plus nombreux, les entreprises sont de plus en plus voraces, quand les ressources, elles, restent limitées."
Ces batailles qualifiées « d’historiques » s’avèrent aussi très actuelles. On y retrouve des questions environnementales « au sens large, du climat à la biodiversité en passant par l’agriculture », développe l’animateur, ainsi qu’une critique de nos démocraties occidentales
« défaillantes ». Trop de riverains découvrent ainsi par hasard la nouvelle affectation de terrains voisins de leur domicile, et les outils de consultation existants (enquêtes publiques, réunions d’information) ne semblent plus suffisants.
« On a l’impression qu’on ne souhaite pas nous dire grand-chose et qu’on n’est pas armé pour se défendre », résume Anne Mergelsberg, présidente de l’Asbl le Bois du Val. En ville, Bas les Pad, ou à la campagne, les habitants veulent avoir leur mot à dire. « Chaque petit bout de territoire menacé par une logique capitaliste est potentiellement une ZAD, une zone à défendre ! », soutient Sébastien Kennes, également cofondateur du réseau Occupons le terrain qui coordonne ces collectifs en Wallonie.
Une dimension locale plutôt qu’un syndrome NIMBY
Avant une quelconque revendication environnementale ou démocratique, l’origine de ces mobilisations reste l’attachement à un territoire. « Nous voulons préserver les terres agricoles et les richesses naturelles d’un des derniers poumons verts de Wavre », affirme ainsi Catherine Buhbinder, porte-parole de la Plateforme Non au Contournement Nord de Wavre.
Il n’y a pas de raison pour Geoffrey Pleyers de rejeter cette « dimension NIMBY », Not in my backyards (pas dans mon jardin), cet aspect de défense d’intérêts locaux. Ainsi, parmi ceux qui font vivre ces collectifs figurent beaucoup d’habitants, « des habitants historiques, des riverains ou des agriculteurs » explique Sébastien Kennes, mais ces derniers sont rejoints par « des habitants temporaires, des activistes ou des personnes extérieures qui investissent les lieux suite au projet ». Autour de ce noyau dur de participants se forme ensuite, à coup de communication et d’événements, une communauté de soutien beaucoup plus large.
“Les agriculteurs du collectif de Perwez sont arrivés à un point tel de politisation qu’ils prenaient les rendez-vous eux-mêmes avec les ministres, en se rendant parfois directement à leur cabinet."
S’il n’existe pas un profil unique de membre, il n’y a pas non plus un seul moyen d’action. L’échange et la créativité semblent guider cette force citoyenne. Marie-Hélène Lefèvres, représentante du réseau d’action pour le droit à une alimentation adéquate (FIAN) pour Occupons le terrain, confirme : « c’est le propre des batailles de territoires : il faut réinventer tout à partir de rien ! ». Quant aux compétences, elles s’acquièrent souvent en chemin.
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« Plus la lutte va se compliquer, plus les habitants se politisent et développent une série de connaissances juridiques, communicationnelles ou encore organisationnelles », explique Sébastien Kennes. Marie-Hélène Lefèvres raconte : « Les agriculteurs du collectif de Perwez sont arrivés à un point tel de politisation qu’ils prenaient les rendez-vous eux-mêmes avec les ministres, en se rendant parfois directement à leurs cabinets ». Serge Raucq, président de l’Observatoire de l’Environnement (ObsE), l’atteste : « les participants en ressortent grandis ! ».
Écologie pragmatique
Ces projets « inutiles et destructeurs », ces citoyens n’en veulent pas, « ni ici, ni ailleurs », comme le rappelle un de leurs slogans. Il ne s’agit donc pas seulement de rejeter une initiative, mais le monde et le mode de vie qui l’accompagnent. Ces combats dépassent alors les enjeux locaux et rejoignent des objectifs plus vastes. Cette exigence de protection de l’environnement qui se développe autour d’intérêts particuliers ne s’oppose pas à une écologie plus politique et globale.
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Les luttes territoriales le démontrent bien : elles sont des lieux privilégiés de rencontre. « Dans ces mouvements coopèrent à la fois une classe moyenne intellectuelle, au discours idéologique, et un public plus populaire, qui ne revendique pas cette dimension écologique même si elle est présente de façon plus pratique », insiste Geoffrey Pleyers « dans ces rencontres se construit une écologie plus pragmatique ».
Au-delà des rebondissements propres à chaque bataille, le plus grand défi de ces collectifs en lutte est dès lors pour Sébastien Kennes d’être bien inclusifs, « de ne pas devenir des batailles d’intellos de classes moyennes ou d’activistes professionnels. Et de laisser une place au point de vue de toutes les populations, y compris celles qui subissent le plus les inégalités .»
France Fouarge (st).