Tribune
Le prix de l’information
La page 2021 est tournée et plutôt que de se lamenter, s’insurger ou se morfondre nous avons choisi, une fois n’est pas coutume, de parler de « nous ». Un « nous » proche et inclusif – vous qui, numéro après numéro, suivez l’aventure Imagine, et nous, la rédaction, qui produisons avec énergie et passion ce magazine. Pour vous dire tout d’abord merci.
Merci d’être là, fidèles et exigeants, curieux et mobilisés. Si Imagine existe depuis vingt-cinq ans, c’est grâce à votre soutien, notamment financier, par vos abonnements et vos achats en librairie. Sans vous, notre travail n’aurait ni sens ni finalité. Merci aussi pour vos retours encourageants, vos critiques constructives et vos propositions régulières, ils nous aident à avancer, évoluer, nous remettre en question.
« Optimistes par la volonté »
Forts de tout cela, nous progressons « optimistes par la volonté », pour paraphraser le philosophe Antonio Gramsci. Avec un credo : agilité, adaptation et créativité. Depuis notre réforme du printemps 2020, notre projet éditorial a été renforcé via un processus participatif et collectif (Manifeste Imagine, ligne rédactionnelle claire, site web éco-responsable) avec une ambition affichée : être « le » magazine belge des métamorphoses en cours et à venir. Convaincus qu’Imagine est plus que jamais indispensable pour comprendre et raconter les grands enjeux contemporains (urgences environnementales, fractures sociales, crise de la démocratie). Néanmoins, on ne va pas se le cacher : les temps sont difficiles pour l’ensemble de la presse, en particulier pour les médias libres. En cause, notamment, une hausse de nos frais de production. Ces derniers mois, le prix du papier n’a cessé de grimper (+ 10 à 15 % en un an) pour diverses raisons (pénurie de matières premières, usines de production au ralenti à cause du Covid, difficultés d’acheminement, forte demande asiatique, spéculation). Par ailleurs, bpost, société anonyme de droit public, a considérablement augmenté ses tarifs, malgré les avantages historiques accordés aux éditeurs de presse. En 2014, un timbre « presse » coûtait 0,56 euro, en 2020 il nous revient à 0,69 euro, soit une hausse de… 20 % en six ans. Pour les timbres normaux, l’augmentation est encore plus flagrante (+ 30 % en trois ans). Bpost est incontournable, mais ce service… public, qui est par ailleurs loin d’être optimal (envois non assurés, retours inexpliqués, magazines abîmés, manque de suivi commercial) a un coût. De plus en plus élevé. Le cœur de notre projet économique et éditorial, c’est notre rédaction. A l’inverse d’autres médias, nous avons pris le parti de construire une équipe salariée, stable, qui s’inscrit dans la durée (deux temps plein, trois 4/5e temps, un graphiste et une correctrice freelance). Ce choix a évidemment un prix, malgré des conventions barémiques basses qui sont celles du secteur non-marchand : en 2014, notre masse salariale était de 185 195 euros, elle était de 252 000 euros en 2021, soit une hausse de 20 % en six ans. Imagine, c’est aussi une équipe de collaborateurs indépendants (rédacteurs, photographes, illustrateurs, chroniqueurs…), que nous tenons à rémunérer décemment. L’étude réalisée en 2019 par l’Association des journalistes (AJP) nous rangeait d’ailleurs parmi les éditeurs francophones qui rétribuent le mieux les journalistes freelance. Dans ce domaine, comme dans d’autres, nous nous nous efforçons d’appliquer au mieux les cinq valeurs cardinales qui sont les nôtres : la cohérence, l’équilibre, l’anticipation, la considération et l’engagement. Celles-ci ont été mûrement repensées en équipe et figurent dans notre plan stratégique 2021-2023.
Exister en librairie
Pour exister, nous avons aussi besoin d’être vus et diffusés. Or, aujourd’hui, en Belgique, la diffusion des périodiques est loin d’être un long fleuve tranquille. De nombreux libraires sont frappés par la crise et certains doivent fermer boutique. A chaque faillite prononcée, c’est un passeur de connaissances et de nouvelles qui disparaît. En outre, trouver sa place dans la « forêt » des titres n’est pas chose aisée, à moins d’y mettre le prix pour figurer en tête de ban, empiler des exemplaires, etc.
Chez Imagine, nous avons fait le choix de ne pas imprimer à outrance une publication éco-responsable (papier recyclé, label FSC, encres écologiques). Par souci de cohérence (une fois encore) et éviter le gaspillage (la fameuse « mise au pilon »). En outre, nous nous efforçons de récupérer nos invendus, afin d’offrir une seconde vie à ces magazines (dépôt dans les cabinets médicaux, dons, promotions…). Enfin, il y a l’état fluctuant du marché publicitaire. Celui, bien sûr, auquel nous nous limitons volontairement : des annonceurs éthiques, porteurs de valeurs et de sens. Loin des publicités toxiques, climaticides, sexistes… Un marché de « niche » diront les spécialistes, mais auquel nous continuons à croire.
Le juste prix de l’information
Malgré tout cela, plus nous avançons, plus notre conviction se renforce : l’information gratuite n’existe pas. Depuis l’arrivée d’Internet, on a habitué l’opinion publique à cette idée – fallacieuse – selon laquelle la presse est à portée de clics, accessible 24h/24 aux quatre coins du globe, sans contrepartie pécuniaire. C’est évidemment un leurre ! Pour produire de l’information libre, de qualité, approfondie, nuancée, audacieuse, etc., il faut trois fondamentaux : du temps, de l’intelligence et des moyens humains et financiers. Oui, l’information a un prix, et même un juste prix. C’est comme pour l’alimentation saine et durable, produite non pas au rabais ou importée de l’autre bout du monde : sans des artisans et des agriculteurs professionnels, bénéficiant d’une juste rémunération pour leur travail et le service rendu à la collectivité, rien n’est possible. Oui, il faut du temps pour réaliser un magazine avec rigueur, passion et enthousiasme. Il faut de l’intelligence pour penser et articuler des idées neuves, les mettre en perspective, les raconter avec soin et humanité. Il faut enfin des moyens humains et financiers pour réaliser du journalisme au long cours, des investigations, des dossiers et des reportages au plus près du réel. Voilà pourquoi, chères lectrices, chers lecteurs, dans le contexte économique difficile et incertain évoqué plus haut, nous allons devoir augmenter légèrement nos tarifs dès le prochain numéro (mars-avril). D’ici là, profitez des conditions actuelles et restez à nos côtés.
Chaque geste en faveur d’Imagine est un « plus » pour notre petite entreprise sans but lucratif. Chaque nouvel abonnement engrangé, chaque numéro vendu, est une parcelle d’autonomie éditoriale et de liberté (re)gagnées pour un éditeur indépendant de tout groupe de presse et de tout parti politique. C’est aussi une garantie de stabilité et fidélisation dans le temps. Et la possibilité d’étoffer notre équipe. Car dans le modèle économique mixte qui est le nôtre, la part de recettes propres s’élève à 65 % (abonnements, ventes et annonces éthiques), complétée par 35 % de subsides (aides à la presse FWB et partenariat avec le CNCD-11.11.11). En 2022 et au-delà, nous avons de beaux projets en perspective : un grand chantier « gouvernance » (le passage en coopérative ou le re-déploiement de l’Asbl), notre déménagement dans le futur centre d’entreprises sociales La Menuiserie à Liège, de nouvelles créations éditoriales, etc. Nous vous en reparlerons le moment venu. Autant de motifs de se réjouir et de continuer l’aventure avec vous. D’ici là, chères lectrices, chers lecteurs, prenez soin de vous. Force et énergie pour traverser ce qui nous attend. Puisse cette année 2022 vous apporter du bonheur et du réconfort.
Comment nous aider ?
- En vous abonnant à notre magazine via notre kiosque : 55 euros pour six numéros par an
- En achetant notre hors-série Penser, agir, transformer disponible en librairie (14 euros) ou sur commande (+ 2,31 euros de frais de port) avec vingt-cinq grands témoins de notre temps (lire au dos de ce magazine).
- En relayant nos contenus (newsletters, réseaux sociaux…) dans votre entourage pour faire connaître plus largement Imagine.
- En recourant à la Régie publicitaire Imagine pour valoriser vos biens et vos services (regie@imaginemagazine.com, 0477 203 682).
- En vous proposant comme Ambassadeur Imagine bénévole pour nous aider dans la promotion (salons, événements…).
- En effectuant un don à notre Asbl via le compte Triodos BE70 5230 4023 0625.
— L’équipe d’Imagine